La validité de cette pratique n'est plus à démontrer. La Cour de cassation l'a affirmé de longue date, jugeant qu'"aucune disposition du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, n'interdit la remise d'une somme au bailleur, par le preneur, à son entrée dans les lieux" (Cass. 3e civ., 15 févr. 1995, n° 92-18.769). Il s'agit d'une convention librement négociée entre les parties, dont le contenu déterminera la nature.
Le pas-de-porte revêt une double nature. La jurisprudence refuse de trancher en faveur de l'une ou l'autre et renvoie systématiquement les juges du fond à la recherche de la "commune intention des parties".
Il peut être un loyer payé d'avance, une technique permettant au bailleur de se prémunir contre le plafonnement du loyer. Dans ce cas, il est logique qu'il soit pris en compte pour le calcul du loyer révisé ou renouvelé et qu'il produise des intérêts s'il excède, avec les loyers d'avance, deux termes de loyer.
Alternativement, il peut être analysé comme une indemnité forfaitaire venant réparer le préjudice subi par le bailleur en contrepartie du droit à la propriété commerciale qu'il concède au preneur. Cette indemnité vise à compenser la "dépréciation que subissent les lieux du fait d'une occupation commerciale qui donne droit au renouvellement ou à l'indemnité d'éviction".
Face à cette dualité, la Cour de cassation a toujours maintenu que les juges du fond ont l'obligation de se référer à la volonté des parties, sans la dénaturer lorsqu'elle est clairement affirmée dans l'acte (Cass. 3e civ., 23 janvier 1980). Pour déterminer cette intention, les juges peuvent se fonder sur des indices comme le fractionnement du paiement, bien que ce ne soit pas un critère absolu. En effet, la Cour de cassation a jugé que l'étalement du paiement d'une somme qualifiée d'indemnité dans le contrat n'en modifiait pas la nature (Cass. com., 14 avr. 1992, n° 89-18.486).
La qualification juridique a un impact fiscal direct et majeur. Il est crucial de noter que l'administration fiscale n'est pas liée par la qualification des parties et peut requalifier le versement selon la réalité économique, sous le contrôle du juge de l'impôt.
Le principe : l'imposition comme revenu foncier. Le Conseil d'État considère de longue date que le pas-de-porte participe d'un revenu au même titre que le loyer (CE, 5 nov. 1934). Le BOFIP confirme : "Le montant du pas-de-porte perçu doit être intégré dans les revenus fonciers du bailleur et soumis à l'impôt sur le revenu" (BOI-RFPI-BASE-10-10, n° 230).
L'exception (très restrictive) : l'indemnité non imposable. Le Conseil d'État admet que la somme ne soit pas considérée comme un revenu foncier si elle est la contrepartie de la dépréciation de l'immeuble. Mais deux conditions cumulatives doivent être réunies : le loyer stipulé doit être normal (non sous-évalué) ET le bailleur doit justifier que la somme compense une perte réelle d'un élément de son patrimoine (CE, 24 fév. 1978). La simple existence du droit au renouvellement ne suffit pas à prouver cette dépréciation (CE, 3 juill. 2009, n° 298433).
Si c'est un supplément de loyer : déduction étalée. Le Conseil d'État admet la déduction si le pas-de-porte est un supplément de loyer et que son montant, ajouté au loyer, n'excède pas la valeur locative réelle (CE, 25 juill. 1980, n° 18189). La charge doit alors être répartie sur la durée du bail.
Si c'est une indemnité : immobilisation non déductible. Le pas-de-porte est alors considéré comme le prix d'acquisition d'un élément incorporel du fonds de commerce (le "droit au bail"). À ce titre, il n'est pas une charge déductible. Il peut être amorti uniquement s'il a pour contrepartie des avantages dont les effets bénéfiques sur l'exploitation cesseront à une date prévisible (CE, 15 avr. 2016, n° 375769), ce qui est rare en pratique.
La rédaction de la clause sur le pas-de-porte est un enjeu majeur.
Une clause floue ou mal rédigée peut entraîner un redressement fiscal coûteux pour l'une ou l'autre des parties.
➡️ Faites rédiger ou analyser votre clause de pas-de-porteIl peut exister une asymétrie de qualification : l'administration fiscale peut considérer le pas-de-porte comme un revenu imposable pour le bailleur et, simultanément, comme un actif non déductible pour le locataire. Cette situation, qualifiée de "hiatus" juridique, souligne le risque maximal.
Face à cette complexité, la rédaction du bail est la seule protection. Il est impératif d'y préciser la nature du pas-de-porte. L'omission de cette précision peut même engager la responsabilité professionnelle du rédacteur de l'acte, comme l'a suggéré la Cour d'appel de Paris (CA Paris, 30 avr. 1993, JCP N 1994. II. 252).
Ne signez pas avant d'avoir mesuré toutes les implications juridiques et fiscales de l'opération. Une consultation préalable est un investissement qui peut vous faire économiser beaucoup.
➡️ Prendre un rendez-vous pour une consultation